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Découverte #11 - Chapitre 1 - LE CRI DU COEUR

Coucou tout le monde !

Ce soir on met à l'honneur LE CRI DU COEUR écrit par AMHELIIE.

Voici le chapitre 1 !

Le livre est dispo en papier et numérique.

Bonne lecture !





Prologue

Baltimore, 2017.

Il fait froid aujourd’hui. Plus que d’habitude. Le ciel est gris et l’humeur qui règne dans les rues est morose. Je n’aime pas le lundi, personne ne l’aime.

Aujourd’hui est un jour sans, un jour comme les autres pour le monde qui m’entoure mais pas pour moi. Les gens se lèvent pour aller au travail, les enfants vont à l’école, et moi… je suis ici. Devant ces portes en bois taillé, closes, qui s’ouvriront seulement si je décide d’y entrer. Ai-je vraiment envie d’y entrer ? Je ne sais pas. Ce matin lorsque je suis sortie de mon lit, j’ai su que quelque chose de difficile allait se produire. J’ai attendu, je me suis vaguement occupée, puis, le facteur a sonné à ma porte et tout a basculé lorsqu’il m’a donné ce quelque chose qui m’a poussé à venir ici.

Depuis un certain temps déjà, mon reflet dans le miroir me disait : mais où est passée cette femme que tu pensais connaître ? Elle a disparu, comme l’étincelle qu’on aborde lorsqu’on est pleinement heureux. Elle a disparu en se cachant derrière un masque. Un masque qui me convenait, jusqu’à présent.

Souvent, on se demande si on a fait le bon choix. Ai-je bien fait de mettre ces chaussures ? De dire oui pour ce travail ? De voyager à cet endroit ? D’accepter cette situation ? De prendre ce chemin plutôt qu’un autre ?

Est-ce que les choix que nous faisons maintenant influenceront comme nous le souhaitons notre avenir ? Est-ce qu’en partant à droite, je ne me retrouverai pas à gauche au bout du compte ?

Est-ce qu’il regrette ses choix, comme je regrette les miens ?

Je chasse cette question en décidant de pénétrer dans l’Église de mon quartier. C’est la Corpus Christi Church. Une magnifique maison de Dieu, en pierre grise de style gothique, qui ressemble à celle du XVI siècle avec un clocher qui domine.

L’odeur de l’encens m’irrite le nez, je n’ai jamais aimé respirer cet air, il me semble toujours aussi chargé.

Lorsque j’étais enfant, je prenais avec moi un mouchoir recouvert de parfum pour ne pas avoir la nausée. Je vois que les années n’ont pas changé cette impression.

Il n’y a personne assis sur les bancs, ni même dans les ailes en ce début d’après-midi. L’église est calme et sombre, il ne filtre que très peu de lumière par les vitraux. Le lieu est magnifique, taillé dans le marbre et la pierre. Il y a d’immenses arches pointues au plafond de l’allée centrale, jusqu’à l’autel, qui attirent l’attention.

Autour de moi, entre les vitraux détaillant des scènes célèbres de la Bible, il y a des mosaïques, quelques tableaux tristes et une statue de la Vierge. Je ne croise pas du regard l’immense croix qui domine les lieux.

Ça fait bien longtemps que je n’ai plus envie de me mesurer à Lui. J’ai perdu la bataille, il a été plus fort, c’est comme ça, je l’ai accepté.

Pourtant je suis encore là.

J’entends des pas provenir du presbytère, suivis d’une porte grinçante qu’on ouvre. Je n’ai pas le temps de faire machine arrière et de sortir que mon regard croise celui de l’individu âgé.

Je ne dis rien, l’homme vêtu de noir non plus. Sans m’en rendre compte, comme victime de mon propre corps je me dirige vers le confessionnal.

Je ne sais pas si c’est le jour, ni même si le prêtre de cette Église a le temps de m’écouter, mais tant pis, j’agis. Je m’assois dans la partie qui m’est réservée et j’attends que quelqu’un fasse de même de l’autre côté.

Il ne me faut pas beaucoup de temps pour savoir ce qu’il se passera, le prêtre prend place à son tour, je l’entends s’installer à ma gauche. Il découvre la petite grille qui nous sépare et préserve mon anonymat. Puis, le silence se fait maître. Il attend, moi, je résiste à ce que mon esprit me dicte de faire.

Bénissez-moi, mon Père, parce que j'ai péché. Je confesse à Dieu Tout-Puissant, je reconnais devant mes frères, que j'ai péché en pensée, en parole, par action et par omission.

Mais aucun mot ne sort, aucun mot que je devrais dire normalement. Je les emmerde ces maudits mots, je les emmerde, tous autant qu’ils sont.

— Je n’ai pas remis les pieds dans une église pour me confesser depuis des années, je souffle d’une voix calme.

— Vous êtes ici, c’est déjà un grand pas. Je vous écoute, soyez libre dans vos paroles.

Un léger sourire se dessine sur mon visage, la voix du prêtre est chaleureuse, comme celle des grands-pères qui nous racontent leur histoire d’antan. Je suis ici, c’est un fait, mais est-ce un grand pas ou une rechute ? Telle est la question.

— J’ai le cœur lourd, et je ne sais même pas ce que je fais ici. Ma vie se résume à pas grand-chose, je n’ai rien fait de mal, rien qui mériterait une pénitence, ni même un pardon divin, et pourtant, j’ai l’impression d’avoir souffert et vécu, comme mille femmes ont souffert et vécu.

— Qu’est-ce qui amène une jeune femme comme vous à penser tout cela ?

La vérité.

— Le constat d’une vie, d’une situation, je réponds simplement.

Mes mains commencent à se mettre à trembler en y pensant. Aujourd’hui est le jour que je vais détester plus que tout. Il va entrer dans mon top dix des pires moments de ma vie.

Un rire ironique m’échappe, ce top est presque concentré avec une seule et même personne.

Maudit sois-tu.

— Quel est votre fardeau ? m’interroge doucement le prêtre.

J’examine mes mains et l’absence de ce qu’il y aurait dû avoir entre ces dernières. Je me contente de serrer entre mes doigts le papier blanc comme une bouée de sauvetage.

Mais elle m’enfonce, elle me fait mal, elle participe à ma noyade.

— Mon fardeau est d’avoir aimé un homme plus que moi-même, j’avoue à bout de souffle.

L’atmosphère dans le confessionnal devient plus lourde, je sens la surprise du prêtre qui doit se demander en quoi aimer quelqu’un est un fardeau.

S’il savait.

— En quoi l’amour est un fardeau ? me questionne-t-il.

Bingo. J’aurais dû le parier.

— Lorsque l’amour nous pousse à ressentir la haine, ce dernier se révèle être un fardeau, je poursuis avec conviction.

Et je le pense. Certains proverbes disent que de l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas, et c’est vrai. Nous pouvons aimer quelqu’un plus que nous-même, l’aimer si fort qu’il nous pousse à le détester.

J’ai aimé quelqu’un comme ça, et je le hais avec autant de force désormais. Il est comme une déchirure au creux de mon cœur qui peine à se refermer.

— Qui est cet homme ?

Le prête se montre patient, c’est l’une de leurs nombreuses qualités qui les aide à comprendre l’étendue des problèmes des gens. Ils ont la faculté de voir les détails des maux qui rongent leurs fidèles et qui les ont, sans doute, poussés à commettre une ribambelle de péchés. Est-ce que ma colère et ma haine m’ont poussée à suivre cette voie ? Sans doute, mais mon âme et son sauvetage ne m’intéressent pas pour l’instant. À vrai dire, si je pouvais dire à voix haute que je n’en ai rien à foutre, je le dirais. Il n’y a rien à sauver quand on ne croit plus à tout ça.

— Il est tout et rien à la fois, j’explique.

— Racontez-moi, insiste le prêtre.

Et c’est ce que j’ai fait. Depuis le début, comme je ne l’avais jamais fait auparavant, comme lui seul connaît notre histoire.

Je ferme les yeux, et j’ai de nouveau dix-huit ans.

Je suis de nouveau cette fille libre. Je possède encore l’innocence de croire en certaines choses, lui n’aurait bientôt plus les mêmes espérances que moi.

Il aurait des rêves que je ne partagerais pas, et les miens lui sembleraient futiles.

Il ne comprendrait pas mon existence, cette soif d’indépendance et je ne comprendrais pas la sienne.

Je ne voudrais pas croire qu’on puisse s’enfermer dans cette vie-là, et lui ne pourrait pas comprendre qu’on décide de vivre cette vie-ci.

J’aurais voulu ne pas en tomber amoureuse, mais déjà, lorsqu’on ne veut pas, il est déjà trop tard. C’est que nous le sommes déjà.

Je suis tombée amoureuse de Logan Crowley sans m’en rendre compte. Je me suis mise à l’aimer plutôt qu’à simplement l’adorer. Il est passé d’ami, à amoureux. Un truc comme ça.

Je croyais aux amitiés filles-garçons, parfois il m’arrive d’y croire encore. Et j’aimerais dire que toutes les histoires se terminent bien, malheureusement, il n’y a que dans les livres que je lisais adolescente, où les happy-ends régnaient en maître, que c’est le cas.

J’aimerais dire que la mienne s’est terminée comme je l’aurais souhaité, mais la vie s’est chargée de m’apprendre qu’on n’obtient pas toujours ce que l’on veut.

Bien souvent, ce que l’on désire, ne nous est jamais accordé… du moins pas vraiment, et dans notre situation, c’est le cas. Depuis des années, nous sommes ainsi, stagnant dans nos existences respectives, parcourant nos chemins seuls, avec en tête des « et si » qui perdurent.

Et si nous n’avions pas décidé de prendre cette voie, en serions-nous là à présent ?

Et si l’année de mes dix-huit ans ne s’était pas déroulée comme ça, en serions-nous là à présent ?

J’ouvre les yeux, je me surprends à y voir trouble. Lentement, les mots sortent de ma bouche, comme une confession que personne d’autre n’entendra.

Cette fois-ci, ce sera entre Lui, et moi.

PARTIE I

Avant

Chapitre 1

Londres, 2009.

— Félicitation Aubrey, maintenant tu es une surdouée grande et responsable.

Je ne peux m’empêcher de rire aux éclats en l’entendant me taquiner de la sorte. J’aime son humour, j’aime cette façon qu’il a de communiquer avec les autres avec intelligence et spontanéité.

— Et diplômée, je renchéris.

— Et diplômée en effet.

Logan retire ma coiffe de diplômée de ma tête blonde, il a déjà perdu la sienne. Ça ne m’étonne pas vraiment, heureusement que sa tête est bien accrochée à son cou, sinon, il risquerait de la perdre aussi.

Je viens d’avoir dix-huit ans, lui les a eus depuis deux ans déjà. Nous venons d’avoir nos diplômes en Histoire et en Économie, pour ma part avec deux ans d’avance.

Ensemble nous marchons vers nos parents qui nous attendent pour aller fêter notre réussite autour d’un déjeuner. Si Logan s’arrête un an pour se prendre quelques mois de temps libre avant de trouver un boulot, il veut faire de l’humanitaire, je vais sans doute entrer dans une grande école pour devenir Conservatrice. Je rêve depuis toujours de travailler avec des œuvres poussiéreuses et de côtoyer au plus près des objets qui racontent l’histoire. La nôtre surtout.

Autour de nous, les diplômés expriment leur joie, après trois ans de dur labeur à l’Université de Londres, nous en sortons pour soit continuer dans une autre branche, soit pour entrer dans la vie active. Le monde des adultes n’attend que nous désormais.

Je regarde le petit attroupement qui discute. Nos deux pères sont meilleurs amis depuis l’enfance. Ils ont fait médecine ensemble, et dirigent un cabinet privé en ville. Nos mères nous ont élevés avec nos frères et sœurs et ont occupé leur temps libre avec divers engagements dans des associations, notamment auprès de notre paroisse.

Car si parmi nos proches, la religion est très présente, moi j’ai une âme d’artiste, je crois en Dieu, mais je ne le laisse pas me dicter ma vie. Pour les autres, c’est très sérieux. Alors je me contente de respecter leurs choix, leurs visions, tant qu’ils respectent la mienne de croire comme j’en ai envie et non pas en overdose comme certains peuvent le faire.

Logan se moque souvent de moi en me traitant de mécréante, et ça me fait rire, surtout venant de lui. Je pense que nous pouvons vivre une religion moderne, avec notre temps, et non pas archaïque comme certains aiment nous le faire entendre.

Mais ça, c’est un autre sujet. Un autre débat, qui n’a pas lieu d’être aujourd’hui.

— Félicitation vous deux ! déclare mon père en m’enlaçant.

Je suis contente qu’il ait pu se libérer, en ce moment, il passe son temps à travailler, il rentre tard et nous ne le voyons pas beaucoup.

Ma mère s’énerve après mes deux sœurs qui courent dans tous les sens. Cette femme est stricte, et impeccable en apparence, elle déteste lorsqu’une chose vient faire tache dans notre tableau familial.

Parfois lorsque j’examine notre famille, j’ai l’impression d’être un cliché pur : un père docteur, une mère dévouée, des enfants surdoués et bien élevés. Il ne manque que le chien. Pour nous c’est comme ça, heureusement qu’on m’autorise un peu de folie et de liberté pour ne pas me sentir enfermée dans un moule lisse et exemplaire.

Les parents et les trois autres frères de Logan nous félicitent. Lincoln est militaire depuis trois ans, au service de Sa Majesté, Leroy ne va pas tarder à entrer en seconde année de médecine, et Lewis, le petit dernier n’est qu’au collège. Il est discret. Mais les quatre frères Crowley se ressemblent tous. Grands, regard charmeur, sourire insolent, yeux gris, cheveux sombres.

Lorsque je regarde Logan, je me sens parfois stupide. Il dégage un je ne sais quoi qui m’impressionne. Son charisme et sa façon d’agir me laissent souvent croire que cet homme n’est pas humain, il est surhumain, un robot créé par les scientifiques pour complexer les autres. Et lorsque je le lui dis, ça l’amuse.

Nos parents finissent de discuter. Lorsque Jane, la mère de Logan, regarde sa montre et annonce qu’il est l’heure d’y aller, mon meilleur ami me surprend en se raclant la gorge. Il prend un air sérieux digne des pires comédies, et déclare à l’intention de ma mère psychorigide :

— Maggie, j’invite notre Miss Miller à déjeuner en tête à tête, nous avons des tas de choses à nous dire.

Ma mère jette un coup d’œil en coin à mon père, ses sourcils blonds se froncent. J’ai dix-huit ans maintenant, Logan en a vingt, et elle s’inquiète toujours de me voir finir dévergondée. Pourtant j’adorerais finir ainsi dans les bras de Crowley. Qui n’aimerait pas ?

— Mon fils, cet éternel clown, lance Jane en entraînant ma mère pour couper court à un débat qui n’a pas encore éclaté.

— Mais galant, renchérit mon père.

Il me fait signe d’y aller, lui au moins sait que je suis majeure comparé à ma génitrice.

Ni une ni deux, Logan attrape ma main, et sort les clés de sa voiture en m’entraînant de l’autre côté du campus.

— Tu m’emmènes où ? je l’interroge, j’ai faim, tu sais.

Il me lance un clin d’œil en souriant.

— Loin Brey, pour une surprise et remplir ton ventre.

Il n’en faut pas plus pour me décider.

***

Finalement, le déjeuner en famille n’aura pas lieu, c’est un pique-nique Loganien qui l’a remplacé. Je ne sais pas comment Logan a réussi à convaincre nos parents qu’on voulait fêter ça entre nous, comme des adultes, mais ils ont dit oui sans discuter. Nous voilà en tête à tête, dans notre parc, sur la pelouse humide, un immense plaid carte du monde étalé sous moi, à manger des chips et des sandwichs étranges dont seul lui a la recette. Une fois il m’a fait avaler du cheddar fondu avec du chocolat pour tester, et c’était vraiment un crime culinaire. Le pire reste celui au jambon et à la confiture de fraise, une horreur.

J’ai caché ma surprise de le voir agir ainsi. Normalement Logan m’organise ça seulement pour : mon anniversaire, la Saint-Valentin en la détournant en fête de l’amitié, pour mes bad semaines, celles qu’il appelle les semaines rouges où je deviens véritablement chiante à me plaindre sous ma couette d’être une fille, ou lorsqu’il a une chose à m’apprendre et qu’il ne sait pas me le dire sans me faire manger et boire de la bière en douce pour calmer son stress.

Et ma dernière hypothèse semble être la bonne, Logan a en effet quelque chose de désagréable à me dire. Je le sens nerveux, je tâche de ne pas trop lui montrer que je le sais. Je me contente de manger sa dernière œuvre culinaire qui est encore moins mangeable que les précédentes.

— Lâche ta bombe, Logan, qu’on arrête le sacrifice de ce pauvre sandwich beurre de cacahuète et petits légumes.

Logan me jette un coup d’œil outré en m’entendant critiquer son chef d’œuvre. Il rattrape son ballon de foot avant qu’il n’arrive sur le chemin, et dans un soupir, il m’avoue :

— OK… en fait, je m’en vais deux mois au Brésil pour une mission humanitaire.

Il lève les mains en signe de défense en s’expliquant davantage :

— …mais après je vais me trouver un boulot sympa dans le coin, avant de vraiment chercher un job que ma mère trouverait convenable.

— Strip-teaseur tu peux mettre ça de côté, ainsi que barman et escort boy, je tente de plaisanter.

Mais le cœur n’y est pas vraiment. Je savais qu’il s’était inscrit sur un genre de site où sont répertoriées les missions humanitaires à travers la planète, mais je ne pensais pas qu’il trouverait si vite. De plus, le Brésil, ce n’est pas la porte à côté. C’est loin… très loin pour nous.

Son regard gris me file les frissons lorsqu’il croise le mien vert. Je me mords la lèvre pour ne pas rire malgré tout. J’aime sa tête d’angelot comique. Logan a cette faculté de faire rire n’importe qui, à n’importe quel moment, surtout dans les pires. Je sais de quoi je parle, j’ai pris un fou rire à l’enterrement de la grand-mère de maman par sa faute grâce à un clin d’œil.

— Très drôle Aubrey, très drôle, on parle de mon avenir, tu sais, commente Logan avec ironie.

À mon tour, je lève les mains en signe de défense, Logan est davantage amusant lorsqu’il tente d’être sérieux. Parfois il l’est et on le sent, mais lorsqu’il ne l’est pas, on s’en rend compte aussi.

J’émiette l’autre misérable sandwich qu’il m’a fait à la confiture de fraise. Logan doit revoir ses talents de cuisinier pour inviter les filles en pique-nique improvisé dans le parc aux Nuages. Celui où on aime se rendre lorsque ça ne va pas, que le ciel se couvre d’un voile gris et blanc, formant des animaux ou des objets.

C’est un peu notre repère à nous, sauf que ça n’en a pas l’air. De plus, il est un peu étrange de voir deux adultes par terre en train de montrer le ciel du doigt.

L’atmosphère se fait plus tendue lorsque je demande d’une voix à peine audible :

— Depuis quand tu sais pour le Brésil ? Je pensais que tu restais ici le temps d’honorer ton contrat avec les enfants.

Aux dernières nouvelles, Logan avait trouvé une place dans le centre pour enfants pour travailler en attendant qu’une mission se présente à lui. J’aimerais comprendre en quoi partir au Brésil est plus divertissant que les sorties au cinéma et à la piscine avec des gamins insupportables. Je ris pour moi-même, en vérité, moi aussi j’aurais choisi la Samba. Logan cesse de faire des jongles avec son ballon de football. Il se fige, je remarque que ses épaules s’arquent dans sa chemise impeccablement repassée. Il est inquiet.

— Le Père McDougal est venu à la maison hier soir pour diner il m’a confié qu’il manquait de monde pour le projet humanitaire au Brésil d’un ami, et puisque notre Road Trip aux USA est tombé à l’eau à cause de ta pré-rentrée… ma mère pense que c’est une bonne occasion d’améliorer mon espagnol en plus de faire du bénévolat auprès de gens qui en ont besoin.

— Ils parlent portugais là-bas, je le reprends.

Logan me lance son regard qui veut dire « si tu veux Miss la surdouée », je ne soulève pas, il continue de jouer avec son ballon de football pour s’occuper et ne pas me montrer qu’il stresse d’expliquer son choix. Nous devions normalement passer l’été ensemble, à bosser respectivement et se prendre deux semaines pour aller aux États-Unis. Mais j’ai eu d’autres plans et Logan a dû revoir les siens. En effet, il les a bien adaptés.

— Tu t’en vas tout l’été donc, je conclus.

Mon meilleur ami me dévisage avec malaise.

— Hé, Brey, je vais t’appeler et t’écrire tous les jours.

J’abandonne ce que j’ai dans les mains pour goûter son sandwich banane beurre de cacahuète, qui n’est pas si mauvais pour une fois.

— J’y crois moyennement Crowley. Tu seras trop occupé à danser avec les Brésiliennes.

Logan fait rebondir le ballon sur sa tête, avant de le laisser tomber au sol et de s’allonger à son tour. Ce type ne tient jamais en place.

— Et comme dans les romans français, je t’écrirai une lettre en prenant appui sur les fesses d’une prostituée.

Il m’attrape la cheville avec ses doigts, je me débats et le frappe gentiment, ce qui l’amuse.

— Tu te crois drôle, mais ce n’est pas le cas !

Logan prend un air outré, et comme d’habitude, je ris, parce qu’il suffit d’une expression sur son visage pour chasser la colère, d’un sourire pour arrêter mes peines, et du son de sa voix pour me faire vibrer.

Ma pauvre Brey, tu en ferais rire plus d’une.

— Comment ça, Aubrey Mary Miller vous ne riez pas aux blagues de Logan Matthew Crowley ! lance mon meilleur ami en faisant les gros yeux.

Il me surprend en rampant sur moi, son corps musclé et dessiné par des heures à courir et à faire de la musculation avec ces frères. Je tente de me débattre lorsqu’il commence à chatouiller mes côtes, mais rien n’y fait, je sais que je n’en ai pas envie. Je veux surtout le sentir proche de moi, ainsi, je peux sentir son odeur musquée envahir mes sens, son souffle chaud contre mon visage alors qu’il me parle, et cette proximité déconcertante qui d’un seul regard, affole l’organe dans ma poitrine.

Logan finit par s’arrêter lorsque je le menace de l’émasculer, il s’effondre sur moi en s’avouant vaincu. Il m’écrase pour me faire râler. Je le laisse faire, et glisse une main dans ses cheveux châtains pour les mettre en désordre seulement parce que je ne sais jamais où les mettre.

— Ce sera le premier été que nous ne passerons pas ensemble, je lance en regardant le ciel dégagé.

— L’âge adulte et ses responsabilités, Aubrey, que veux-tu, ironise-t-il.

— Est-ce qu’un jour, tu prendras les choses sérieusement ?

Je baisse mon regard vers le sien, Logan me dévisage déjà avec sérieux et cette lueur au fond de ses pupilles grises veulent tout et rien dire à la fois.

— Un jour, souffle-t-il.

Il se glisse à côté de moi, son bras se lève pour venir se faufiler sous mon cou, je me blottis contre lui.

— Deux mois ce n’est pas très long, Brey, chuchote-il à mon oreille.

— Soixante-deux jours, je renchéris.

— Soixante-deux jours de calme sans me supporter.

— J’aime te supporter.

Il laisse échapper un rire amusé, mais au son de ce dernier, je sens qu’il ne me dit pas tout.

— J’aime que tu me supportes.

Et voilà, ses éternels silences, qui comme ses yeux, veulent tout et rien dire. À moi d’interpréter ce que Logan ne dira jamais à voix haute. Il peut être si mystérieux en ce qui concerne ses sentiments et ses pensées. Surtout nous concernant.

Et lorsqu’il sent que les choses dérivent sur des terrains trop dangereux, il fait de l’humour, tel un maître dans son art.

— Là, je vois un hérisson obèse qui tente de sodomiser une chèvre, déclare-t-il en levant un doigt vers un nuage qui ne ressemble pas à ça.

Je tape sa poitrine en me dégageant de sa prise.

— Tu vois tu n’es pas sérieux !

Logan rit aux éclats en essayant de me faire revenir contre lui, mais je résiste de nouveau, parce qu’une part de moi aime ce jeu du chat et de la souris. Il me dévisage comme lui seul sait le faire, et mon cœur rate un battement.

Parfois j’aimerais qu’il soit sérieux nous concernant, qu’il rit moins de notre relation pour la rendre plus vraie… plus réelle.

On dit que l’amitié fille garçon n’existe pas, c’est faux, elle existe de cinq à douze ans, puis elle se transforme en davantage à partir de treize. Seulement, il est difficile de l’avouer, pour lui comme pour moi. Alors on persiste en faisant croire à l’autre que ce n’est rien, qu’il est normal de se comporter ainsi. Pourtant, nous le savons ; l’amour n’est pas très loin.

***

Baltimore, 2017.

Je sors de mes pensées en songeant à quel point, j’étais naïve à cette époque. Qu’est-ce que je n’avais pas vu ? Est-ce qu’il a changé à ce moment-là ? Est-ce que l’idée germait déjà dans son esprit ? Ou est-ce que ça s’est produit après qu’il ait pris cette voie-là ? Je me demande si j’aurais pu le voir venir, si certains signes étaient présents à ce stade. Mais malheureusement, je ne l’ai pas vu. C’est arrivé. Tout simplement.

— J’aurais dû lui dire cet après-midi-là, je murmure.

— Lui dire quoi ? me questionne le père.

Que je l’aimais.

On regrette toujours les paroles qu’on dit trop vite, tout comme on regrette celles du cœur que nous ne disons jamais.

Je ne réponds pas à cette question, l’homme apprendra très vite, qu’il y a une longue liste de non-dits entre Logan et moi.

— Qu’est-ce qui lui est arrivé ? m’interroge le prêtre, intrigué.

— Il a fait une rencontre qui l’a changé, je souffle.

Une rencontre que personne ne peut prédire, ni même anticiper. Et certainement pas une jeune adulte de dix-huit ans, bien que je doute qu’à vingt-six, j’aurais pu le voir arriver.

Mais voilà, il est parti en voyage humanitaire, et moi je suis restée ici, à l’aimer en secret, jusqu’à son retour, où j’ai compris que les choses avaient vraiment ch

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