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Découverte #14 - Chapitre 1 du livre JAGER

Coucou tout le monde !

Ce soir on met à l'honneur JAGER écrit par AMHELIIE & MARYRHAGE.

Voici le chapitre 1 !

Le livre est dispo en papier et numérique.

Bonne lecture !




Chapitre 1

***

Markus

 

 

Berlin, Allemagne.

Mars 1965.

 

 

Recommencer.

Voilà la première chose qui me vient à l’esprit lorsque je pose le pied sur le tarmac de l’aéroport de Berlin-Tempelhof[1]. Un goût amer et difficile à avaler me revient, je n’aime pas l’échec, j’aime encore moins me tromper. J’étais sûr de mon coup, tellement certain d’aller dans la bonne direction. La traque est comme un second instinct, un autre souffle, un autre battement de cœur qui m’habite au plus profond. C’est comme s’il y avait deux personnes en moi. L’homme et le chasseur. Et bien souvent, c’est ce dernier qui prend le contrôle du reste. C’est lui qui affronte tout. Il n’y a que l’homme qui ne se remet pas de ses échecs. Le chasseur, lui, continue. Ce n’est pas ma première défaite, mais celle-ci est plus douloureuse à avaler que les autres.

Je récupère ma valise que j’avais posée sur le goudron de l’immense piste d’atterrissage et suis la foule de passagers revenant de Tel-Aviv. Le froid de mars me frappe de plein fouet, je constate que je ne suis pas vêtu pour les circonstances avec mon costume d’été. Je n’ai pas de veste, ni même l’écharpe que ma sœur m’a cousue l’hiver dernier. Autant dire que mon perfecto me manque ainsi que les vêtements moins sérieux imposés par ma condition lorsqu’on « voyage » au Moyen-Orient.

Je ne m’attarde pas en zone de débarquement, là où les familles accueillent les voyageurs. Personne ne m’attend. Je suis l’étranger dans son propre pays, l’homme aux multiples identités, l’homme qui a pourtant toute sa vie ici, en Allemagne, mais qui n’y est pas attaché.

Je suis comme l’ombre, toujours tapie dans l’obscurité.

Je regarde autour de moi en soupirant pour chercher une horloge murale. J’ai encore oublié ma montre dans la valise. Celle à ma droite indique 15 heures.

Je sors de l’aéroport, et me dirige vers une des cabines téléphoniques vide. Je vérifie que personne n’est assez près pour écouter ma prochaine conversation et pénètre dans le petit habitacle. J’extirpe de la poche de mon pantalon de costume gris quelques deutschemarks que j’ai précieusement conservés. Je les insère dans la fente, et compose le numéro que je connais par cœur.

La réponse ne tarde pas.

 

— Ja[2] ? me répond une voix baryton fumante.

 

J’imagine très bien Evert derrière son bureau, le téléphone à proximité en train de lire des BD en attendant l’arrivée de Ralf ou l’appel d’un Agent, tout en fumant clope sur clope, histoire de davantage tousser comme un chien.

 

— Je suis de retour sur Berlin, je lance dans un français parfait, où seul mon accent allemand me trahit des natifs.

 

Evert observe un long silence à l’autre bout du fil. Je scrute les gens autour de moi, certains me regardent, d’autres m’ignorent, des femmes se retournent en gloussant. Je jure en me maudissant de n’être pas une horreur marquée par la guerre comme certains. Pourtant, plus je tente de passer incognito, plus je semble attirer ses dames.

Le genre humain m’énerve plus que tout.

Ils vivent dans le présent eux au moins, me lance une petite voix que je chasse dans la seconde. Le voyage m’a fatigué, en plus d’épuiser ma patience. Six mois au Moyen-Orient ont épuisé ma patience, plutôt.

 

— Quelle surprise, nous ne t’attendions pas de sitôt, finit par lâcher Evert.

 

— Préviens Klaus, dis-lui de me retrouver chez Alberta dans trois heures, je poursuis en français sans m’arrêter à sa remarque.

 

Je fais ce que je veux abruti. Je n’ai de compte à rendre à personne sur mes allers-retours sauf à Ralf, mais j’ai carte blanche depuis des années.

 

— D’accord. Quand passeras-tu ? me demande mon interlocuteur.

 

Je pourrais passer avant mon rendez-vous, mais c’est le JÄGERDUNKLE[3] qui va se déplacer justement, pourquoi y aller ? Nous aurons l’occasion de nous voir suffisamment ces prochaines semaines.

 

— Bientôt, je termine en allemand.

 

Et je raccroche.

Je sors de la cabine, il commence à pleuvoir lorsque je me dirige vers la gare des taxis pour qu’on me ramène chez moi, histoire que je change mon costume de dandy en quelque chose de plus chaud et plus confortable. J’arrive à en attraper un avant que la foule des derniers voyageurs n’arrive. Il y aura du monde pour passer le mur, mais avec ma vocation, je n’ai pas à m’inquiéter de ça. Passer de Berlin Est à Berlin Ouest est un jeu d’enfant, les points de passages et de contrôles font partie d’une routine à laquelle je ne prête plus attention.

Ouais bienvenue en Allemagne, Markus.

 

 

***

 

 

J’écrase ma clope dans le cendrier en verre posé devant moi. En fond, une chanson des Beatles résonne, donnant une ambiance de plus en plus rock. Chez Alberta, c’est un peu le lieu de nos rencontres, de nos premières fois, où chaque personne du coin y a fait ses réunions.

Je joue avec ma bière, une bonne Krombacher qui fait du bien au moral, surtout lorsqu’on vient de passer six mois dans un pays où l’alcool est loin d’être autorisé comme chez nous.

Je jette un coup d’œil à Klaus qui fume tranquillement son cigare en me regardant l’air satisfait.

Klaus Wagner est l’un de mes rares amis et contacts ici, en Allemagne. On bosse ensemble lorsque je suis au pays. C’est un grand blond aux yeux verts. Il est rasé de près comme la plupart des gars avec qui je bosse sauf Hans. Il a une légère cicatrice à la joue suite à un passé plutôt compliqué, et souvent, il possède ce regard vide qu’ont beaucoup de personnes bossant pour le Mossad en tant que Sayan[4] ou traqueur.

C’est le premier que je voulais voir en débarquant après mon séjour, pour faire le point sur nos affaires en cours, et par la même occasion, lui fournir davantage d’explications depuis ma dernière lettre provenant du Caire.

 

— Ta piste n’était pas la bonne, Markus, déclare l’allemand au bout de plusieurs minutes de silence.

 

Je soupire en levant les yeux au ciel, je suis toujours agacé de m’être trompé. Le reconnaître à voix haute est d’autant plus difficile. Surtout lorsqu’on a passé presque quinze ans à traquer, avec de beaux noms à sa liste, sans jamais partir dans une direction opposée à l’arrivée. Certains disent qu’il faut un début à tout, je n’aurais pas cru le voir arriver maintenant.

 

— Qu’est-ce que tu comptes faire ? poursuit Klaus.

 

— Repartir à zéro en suivant la route des Rats[5] de l’Europe, j’annonce en buvant ma bière.

 

C’est par là que certains ont pris la fuite et c’est par là qu’il faut commencer. Recommencer.

 

— On ne peut pas être chanceux à tous les coups Markus, finit par lâcher Klaus.

 

Je dévisage mon ami en essayant de faire taire la déception en moi. Je sais qu’il a raison, mais je suis dur avec moi-même, je n’aime pas perdre mon temps, encore moins me tromper. Je fais partie des meilleurs ici, en Allemagne, et je concurrence sans doute ceux qui sont officiellement déclarés en tant que chasseur. Si nous bossons dans l’ombre, ce n’est pas le cas de certains. Dans ma situation, mieux vaut ne pas faire de vague, et chercher pour ne rien trouver, c’est faire de mauvais échos aux mauvais endroits.

Je sors mon paquet de cigarettes pour en prendre une deuxième, ça calmera sans doute ma déception d’être rentré bredouille.

 

— Je sais, mais c’était logique, j’insiste.

 

— Oui, mais ils n’en ont pas toujours.

 

Ah ça, si j’ai bien appris une chose en quinze ans de traque d’anciens nazis, c’est leur habilité à ne pas faire comme leurs pairs. Ils sont imprévisibles, souvent surprenants, et savent se terrer pour se faire oublier.

Mais seulement pour un temps. C’est un jeu de patience où il faut se montrer plus malin qu’eux. Un jeu de traque et de logique, même si parfois, il n’y a que la chance qui nous est précieuse dans ce boulot.

 

— Tu restes combien de temps ici ? me questionne Klaus.

 

— Je n’en sais rien, le temps de souffler, ça fait six mois que je ne suis pas rentré à Berlin, il faut que je passe voir ma mère et ma sœur.

 

Ce n’est pas que j’en ai particulièrement envie, mais je n’ai pas le choix. Entre ma sœur qui doit s’inquiéter de mes lettres postées à l’autre bout du monde et de mon silence radio et ma mère… qui est ma mère, je dois leur montrer que je ne suis pas encore mort.

 

— Prends-toi quelques jours pour te vider l’esprit. Ça te fera du bien pour recommencer, me conseille Klaus.

 

Mon ami partage ma déception, il m’a aidé durant plusieurs mois sur cette piste menant vers le Moyen-Orient, depuis que nous avons eu des infos concernant ce dossier.

 

— Ouais, même si on ne me paye pas pour me toucher les couilles, je déclare avec un ton amusé.

 

Klaus laisse échapper un rire grave en tapant du poing. Il termine sa bière et fait signe à la nièce de la vieille Alberta de nous en servir d’autres. La soirée finira comme d’habitude, lui dans le placard à balais avec la jeune et pas vraiment jolie nièce.

 

— Et qu’est-ce que t’a dit l’Hamisrad[6] ? finit par m’interroger Klaus comme si ça venait de lui revenir en mémoire.

 

Je tire sur ma clope un long moment avant de répondre. Ils sont plus habitués aux fausses pistes et aux fausses informations qui font perdre du temps. Mais comme moi, les preuves que j’avais en ma possession étaient si réelles, si crédibles qu’on ne pouvait que se tromper avant d’être frappé par la réalité.

 

— Yaakov pensait comme moi lorsque nous avons fait le rapport avant mon départ. Mes pistes étaient bonnes. Je suis resté un mois de plus pour m’assurer que tout était faussé là-bas. Pas de trace. Il n’a jamais mis les pieds en Égypte, ni même en Irak ou en Syrie.

 

— Au moins nous n’y retournerons pas, se contente de déclarer l’allemand.

 

Au moins un côté positif, je n’aime pas particulièrement la chaleur de ces pays, mes yeux clairs en souffrent, et le sable doit être le pire ennemi des gens habitués à la neige. Il n’y a que les pyramides en Égypte qui me laisseront un goût moins amer de ce périple.

 

— Par contre, j’ai trouvé ça.

 

Je regarde autour de moi, et sors de la poche de mon perfecto en cuir un dossier usé ayant le tampon du MOSSAD incrusté en dessous du TOP SECRET. On le reconnaît facilement avec sa Menorah rehaussée de deux étages entourés d’une inscription en hébreu.

Klaus l’attrape rapidement et le range à l’intérieur de sa veste sans même le regarder, il y a trop de monde ici pour étaler des documents classés, mais pas assez pour que cela soit suspicieux de boire un verre en discutant simplement.

 

— Et ? me demande calmement Klaus.

 

— Je pense que ça pourrait intéresser Ralf au sujet des deux frères Griechmann sur la liste, je poursuis. Hans sera ravi d’apprendre que lui aussi, il n’a pas suivi la bonne piste.

 

J’en connais un qui sera aussi enchanté que moi de rentrer d’Argentine et d’apprendre que sa piste n’était sans doute pas la bonne.

 

— Tu penses les avoir trouvés ? renchérit mon ami.

 

Je secoue la tête en buvant à ma bière avant de lui raconter la chance que j’ai eue lors d’une visite dans un bureau de renseignement égyptien.

 

— Je ne l’ai pas trouvé, mais en le cherchant, j’ai obtenu des informations plutôt intéressantes sur des jumeaux occidentaux, arrivés en Égypte fin des années 40. Leurs papiers sont Autrichiens, mais nous savons tous qu’on ne se refait pas une gueule aussi facilement ni même un passé.

 

— Tu les as filés ?

 

— Il y a un Mabuah[7] sur le coup depuis trois semaines environ, Yaakov va entrer en contact avec lui pour qu’Hans puisse, s’il le désire, partir poursuivre l’enquête.

 

— T’es un sacré chanceux, sale con. Ralf a eu raison de te dégotter pour devenir un chasseur, t’as ça dans le sang.

 

Je me fige en entendant ce propos qu’on m’a plusieurs fois dit l’air de rien. À mes yeux, ce n’est pas rien.

 

— Ouais, quelle chance, j’ironise sans que Klaus ne s’en aperçoive.

 

Je tire sur ma clope en essayant de calmer la colère qui bout en moi. J’ai perdu un an sur une piste qui n’était pas bonne. Un an que lui a gagné en plus, une année de liberté que tant d’autres n’auront pas eue. Et désormais, il faudra recommencer depuis le début. C’est ça être chasseur, toute ma vie je traquerai des hommes qui ont commis le mal, en priant pour ne pas en laisser filer un.

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