Coucou tout le monde !
Ce soir on met à l'honneur TROUBLE écrit par MARYRHAGE.
Voici le chapitre 1 !
Le livre est dispo en papier et numérique.
Bonne lecture !
PROLOGUE
Je tente de sortir du brouillard qui m'entoure mais j'ai beau lutter c'est comme se battre contre le vent. Je suis consciente, je le sais, mais quelque chose me garde enfouie dans mon subconscient et je délire. Mes propos sont incohérents. Parler me demande un effort que je ne suis pas sûre de pouvoir fournir. J'essaye de me concentrer mais mes pensées sont parasitées par d'autres, comme un mélange de cohérence et d'imaginaire qui rend le tout brouillon et difficilement parable. J'ouvre la bouche, ma langue me paraît peser des tonnes et je dois baver comme un nouveau né. Mes yeux tentent l'impossible mais c'est trop dur. Et puis, je me souviens. Parmi toutes ces images qui traversent ma tête, je me souviens. Je veux mourir.
L'impulsion que donne cette pensée à mon corps me fait ressusciter. Elle me donne l'inverse de ce que je désire et je crie. Je hurle pour qu'on me donne ce que je veux, pour que cette douleur, ce semi inconscient s'arrête et qu'enfin on me laisse respirer calmement là où tout ne sera que plénitude. Je veux mourir. Je me débats, les yeux toujours fermés comme si les ouvrir, allait m'empêcher d'atteindre mon but. Les morts ont les yeux clos, on ferme la porte de leurs âmes et je veux qu'on ferme la mienne à double tour, qu'on l'enterre si profondément qu'elle ne pourra jamais revenir. Mes cris redoublent, mon corps s'arque et se tend dans l'espoir vain de se lever mais je suis prisonnière, enchaînée à mon lit comme mon esprit est enchaîné à mon corps. Je pleure sous mes yeux clos, je pleure cet échec, ce besoin qu'ont les gens de nous sauver malgré nos désirs. Cette course pour vivre que j'abandonne, lâchement peut être, mais je ne peux plus continuer, courir encore et encore sans but dans l'espoir d'apercevoir la ligne d'arrivée.
Je me débats, à m'en faire mal, je suis de plus en plus consciente, le mélange chimique qui devait me tuer et qui me fait délirer à présent, perd de son emprise. C'est pire que tout. C'est ce qui ne doit jamais arriver à qui veut mourir : se rater. Je ne veux pas me réveiller mais mon corps n'est pas d'accord avec moi. Il lutte, se bat et cherche à vivre coûte que coûte. Il me donne ces impulsions d'adrénaline pour me guérir. Où était-il quand la douleur était si forte que rien n'en venait à bout ? Où était-il quand j'avais si mal que rien ne me soignait ? Pourquoi ne s'est il pas manifesté quand mon âme était morte, pour la réveiller ? Pourquoi il m'a abandonnée quand j'avais besoin de lui pour me battre et qu'il revient comme un vieil ami oublié depuis longtemps pour me maintenir en vie ? Qu'il me laisse sombrer. Que tous me laissent sombrer. Je n'ai plus de force pour affronter la vie, je n'ai plus d'envie si ce n'est celle de mourir. Je ne veux plus vivre ce semblant d’existence. La mort en étant vivante.
Je sens des mains sur mes bras, des doigts froids m'enserrent et une voix me parle, forte, grave et pourtant douce et sereine. Comme ces voix qu'on entend sur des cassettes de méthode de relaxation, excessivement apaisante et agaçante. Mes yeux s'ouvrent, la lumière forte m'éblouit et m'empêche de voir autre chose que des taches qui varient selon l'intensité de leurs ombres. Je me tais. Je ne crie plus. Je ne me débats plus. La voix s'éteint avec moi et les doigts me relâchent. Mon âme revient, mon esprit est conscient, il n'a plus ces bribes d'imaginaires forcées par les médicaments, la douleur commence à s'installer dans ma poitrine et je referme les yeux. Ils m'ont eu. Ils ont réussi là où j'ai échoué, ils m'ont ramené à la vie. Mais sous cette enveloppe de chair, tout est mort et rien ne me ramènera.
CHAPITRE 1
Je me réveille de nouveau avec aucune notion du temps. Peut être que ça fait un jour que je suis là comme une dizaine. Je suis confuse mais consciente. Le remède à mes maux me laisse dans état léthargique où je ne fais que dormir. La seule constante à chaque réveil, c'est cette voix qui m'accueille à chaque fois que mes yeux s'ouvrent, comme si elle ne quittait pas mon chevet.
— Bonjour.
Je tourne la tête dans sa direction, l'éclairage est faible et je distingue à peine son visage. Je ne vois qu'une touffe de cheveux bruns et des épaules larges. Ma tête retombe contre le matelas, ma bouche est pâteuse et je fais l'effort de parler.
— Détache-moi.
Je l'entends soupirer et se lever pour s'approcher.
— Pas encore.
Je ferme les yeux, avec l'envie de hurler, qui tente de faire surface mais je sais que ça ne servira à rien à part prolonger mon calvaire, aussi je me tais et me rendors immédiatement.
***
J'ai compté, avec le peu de mémoire disponible, ça fait six jours que je me réveille et que j'aperçois le soleil derrière la vitre à moitié flouté jusqu'à mi hauteur. Mais peut-être que je ne me réveille pas toutes les 24h. Je ne sais pas. Je veux qu'on me détache. Je hais ces personnes qui me retiennent prisonnière, sanglée à un lit comme un animal et qui poussent l'humiliation jusqu'à me mettre une sonde. Ils viennent, me sourient en me disant que tout ira bien maintenant et repartent en me laissant seule, attachée à mon lit, avec ce silence oppressant.
Au fil des jours je suis de plus en plus consciente, et même avec les médicaments qui sont censés me redonner l'envie de vivre, je suis toujours cette coquille vide. Alors je fais semblant, je tente des sourires en me disant que plus vite ils verront que je vais mieux, plus vite je sortirai.
— Bonjour ! lance gaiement la voix qui était là à chacun de mes réveils.
Je tourne la tête dans sa direction, ce matin l'infirmière m'a détachée et autorisée à me lever, enfin. J'ai eu envie de sauter partout seulement pour savourer ma liberté mais mes jambes n'étaient pas de cet avis. Je fais seulement quelques pas autour du lit, ma mobilité est fragile, le manque d'exercice de ces derniers jours a eu raison de mes muscles.
Je regarde la voix, je ne l'ai pas revu depuis que je suis à peu prés consciente. Il est grand, dans la trentaine sûrement, des cheveux bruns coiffés en arrière, un sourire qui étire ses lèvres jusqu'à ses yeux bleus.
— Bonjour, je lance avec moins d'enthousiasme.
— Ça fait plaisir de te voir debout. Je suis Chris, l'infirmier en chef du service.
Il s'approche de moi et me tend sa main que je fixe. Il a de grandes mains puissantes, comme le reste de son corps, pourtant il dégage une aura de sécurité comme si sa force ne servait qu'à protéger et pas à nuire. Je hoche la tête pour le saluer en serrant mollement sa main.
Chris s'installe à droite de mon lit, sur une chaise vissée au sol. Il me regarde encore quelques instants faire le peu d'exercice dont je suis capable avant de reprendre la parole.
— L'équipe m'a dit que ça fait trois jours maintenant que tu te réalimente.
Par la force des choses, manger est signe de bonne santé selon ma mère, je pense qu'en me forçant à avaler un peu de nourriture ça va leur faire comprendre que je vais mieux.
— Et ? je demande en faisant demi-tour.
Il sourit comme s’il allait m'annoncer qu'il m'emmène à Disney Land.
— Je me disais que tu pouvais peut être aller manger avec les autres.
— Les autres ?
— Les autres patients, dans la salle à manger.
On se dévisage quelques secondes, il lance l’idée comme une récompense à mes efforts de ces derniers jours.
— Ça fait combien de temps que je suis ici ?
— 10 jours.
— Quand pourrai-je rentrer chez moi ?
Chris se lève en souriant, je crois que c'est une déformation professionnelle ce sourire, il faut bien qu'il montre à ses patients comme la vie peut être belle.
— Pas dans l'immédiat, Amantha.
— En clair ?
— Je ne sais pas, ça dépendra de toi, et de l'avis du docteur.
Je me laisse tomber sur mon lit, avec l'impression que je ne verrai jamais autre chose que ces murs.
— Je ne peux pas signer une décharge pour sortir ?
— Non, ça ne fonctionne pas ainsi. Tes parents t'ont fait hospitaliser parce que tu te mettais en danger, et tant que tu n'iras pas mieux on te garde avec nous. Ce n'est pas une punition Amantha, c'est pour ton bien.
Pour mon bien. Mon bien est d'en finir avec ce cirque de vie qui ne sert à rien.
— Ces choses-là, prennent du temps, mais tu y arriveras petit à petit.
Je baisse les yeux sur mes bras, le droit est encore recouvert du pansement de la perfusion. Je n'ai pas eu le droit d'aller prendre une douche encore, ma toilette se faisait au gant et à la bassine sous la surveillance d'une infirmière. L'humiliation poussée à son paroxysme.
— J'aimerais prendre une douche.
Chris secoue la tête, amusé. J'ignore ce à quoi il s'attendait, sûrement plus de protestations de ma part, mais j'ai compris qu'il valait mieux me taire qu'exprimer vraiment ce que je pense.
— OK. Tes parents ont laissé un sac avec des affaires, je vais te le chercher pour que tu prennes ce dont tu as besoin et ensuite on ira à la douche.
— On ?
— Oui, dit-il en se dirigeant vers la porte, je ne peux pas encore te laisser déambuler dans le service toute seule.
Je m'apprête à rétorquer mais je me reprends juste à temps pour qu'il ne voie pas la colère en moi.
— OK, je réponds seulement.
Chris ouvre la porte, sort, j'entends le bruit de la serrure, comme un condamné qu'on enferme pour un crime, sauf que mon seul crime est de vouloir en finir avec moi-même.
***
La douche m'a fait un bien fou, c'est dingue comme un peu d'eau chaude et du savon peuvent détendre. Même si Chris était derrière moi, même si on me prive de mon intimité j'ai apprécié me débarrasser de cette crasse persistante et de pouvoir démêler mes cheveux. Je sens bon, je ne sens plus la Bétadine et autre désinfectant mais la fraise. Mes vêtements sont trop grands, il y a quelque temps je m’en serais réjouie, maintenant cela m'indiffère de savoir que j'ai perdu tellement de poids que je flotte dans mon jean. La ceinture m'est interdite ainsi que tout ce qui pourrait être tranchant ou source d'étranglement. On m'a donc prêté des vêtements à ma taille. Je suis ridicule mais ça aussi je m'en moque, la seule chose qui m'intéresse c'est faire mon possible pour sortir d'ici.
Chris a fini de me convaincre d'aller prendre mon repas avec les autres. Et me voilà, à une table au milieu d’autres tables, avec trois personnes qui me dévisagent comme si j'étais une bête de foire.
Mon voisin de droite est un homme d'environ quarante ans qui bave à n'en plus finir, c'est assez dégoutant quand le filet de bave n'a pas eu le temps d'être rattrapé par son aspiration et qu'il finit dans son assiette. Mon voisin de gauche est un colosse, impressionnant par son gabarit et sa taille, et pourtant il a un regard doux et j'ai même eu droit à un sourire quand il m'a surprise en train de le reluquer. Celui en face de moi est jeune, peut être même pas vingt ans, il est en pleine conversation avec l'infirmière qui a l'air patiente mais pourtant déjà exaspérée de devoir lui répéter la même chose à plusieurs reprises.
— Je t'assure que ce sont les bons, j'ai vérifié 4 fois comme tu me l'as demandé.
— T'es sûre ?
— Oui.
— T'es sûre?
— Oui.
— T'es sûre?
— Oui.
— T'es sûre?
— Oui.
Il finit par avaler la médication, pour le plus grand soulagement de l'infirmière qui continue sa tournée à la table voisine. Le jeune homme qui a fini par lâcher prise se retourne vers nous.
— T'es vraiment agaçant à pas les croire, lance froidement le colosse.
— Je suis juste prudent.
— T'es taré oui !
J'assiste à leur discussion, un peu déroutée du comportement du plus jeune, ma cuillère à la main.
— Tu manges pas ? me demande t-il.
Je sursaute en comprenant qu'il s'adresse à moi. Il me sourit, il a l'air heureux de vivre malgré sa paranoïa apparente. Il fait vraiment jeune avec ses cheveux blonds qui lui tombent dans les yeux et son sourire qui fait apparaître des fossettes sur ses joues bombées.
— Heu si, je finis par dire, alors que celui de droite aspire sa bave.
— Je suis Romain, ça veut dire qui vient de Rome. Et toi tu t'appelles comment ? Celui qui bave c'est Francis, ça veut dire « homme libre » ! Il bave à cause de ses médicaments mais on s'y fait vite. Le grincheux c'est Éric, ça veut dire « souverain » et il l'a bien compris. Tu ne manges pas ? Tu t'appelles comment ?
Je laisse tomber ma cuillère sur la table en m'adossant à ma chaise. Comment c'est possible de parler autant et aussi vite ?
— J'aime bien les prénoms, j'aime bien savoir ce qu'ils veulent dire, alors tu t'appelles comment ? Tu devrais manger ça va être froid.
— Amantha. Je m'appelle Amantha.
Romain relève le nez de son assiette, un grand sourire étire ses lèvres. Éric a aussi arrêté de manger pour le regarder, il faut dire qu'il s'est tu quelques secondes.
— Je ne sais pas ce que veux dire ton prénom mais je pense que c'est un dérivé d'Amanda, qui veut dire, aimable et affectueuse. J'ai une cousine qui s'appelle Amanda, c'est une vraie peste. Mais t'a pas l'air peste toi, t'as l'air gentille.
Il me regarde avec affection, comme si je pouvais devenir sa meilleure amie, maintenant qu'il sait que je suis « aimable et affectueuse » selon ses critères et je n'ai pas le cœur à le contredire. Il est touchant. Je souris en acquiesçant.
—Aimable et affectueuse, c'est bien ce que je suis. Mes parents ont bien choisi on dirait, je lance en lui faisant un clin d'œil.
— Pourquoi t'es là Amantha ?
Je retourne à la contemplation de mon assiette où un semblant de paella est intact. Je déglutis en cherchant comment éviter la question.
— Moi je suis là, parce que ma mère pense que je suis parano, alors que je suis juste prudent. Francis est un alcoolo en désintox et Éric je sais pas il a jamais voulu me le dire mais je suis sûr qu'il a tué quelqu'un. Et toi t'es là pour quoi ?
Je me tourne vers Éric qui continue de manger, imperturbable. Il a sûrement l'allure d'un tueur, ses grandes mains doivent être capables d'arracher des vies, mais je doute que ce soit ce qui l'a conduit ici.
— Amantha ?
Je reporte mon attention sur Romain, qui cherche à me séduire avec son sourire pour que je dévoile mon jeu.
— J'ai aussi tué quelqu'un. Une personne qui posait trop de questions indiscrètes.
Éric se met à rire et même Francis s'étouffe avec sa bave, mais Romain a l'air de me prendre au sérieux.
— Je plaisante Romain, je suis là...parce que je ne vais pas bien.
Il soupire rassuré, je ne me mouille pas trop en disant cela mais ça a l'air de lui convenir et calmera ses questions.
Il continue son monologue en me parlant des autres patients, je ne l'écoute que d'une oreille, en me disant que Chris aurait dû me prévenir de ce qui m'attendait en m'installant à cette table. Je passe du vide complet de toute activité sociale à un déferlement de paroles, trop rapidement.
Une porte claque dans le couloir qui mène aux chambres, des cris résonnent et les infirmiers présents à nos cotés pour le repas partent rapidement en direction des cris. Ils n'ont pas le temps d'arriver qu'un homme fait irruption dans la salle commune. Il passe rapidement à côté du salon télé en faisant tomber un fauteuil. Il a l'air énervé et prêt à tout casser. Il fonce tête baissée jusqu'à la salle à manger, tout le monde s'est tu, même Romain, et le regarde faire. Il dépasse notre table puis il s'arrête et recule pour nous observer. Pour m'observer. Je reste pétrifiée à le regarder, pas de peur, mais de sentir quelque chose en moi qui se réveille en croisant son regard noir. Il me fixe, si intensément que s'en est gênant vu l'assistance qui nous entoure mais je ne décolle pas pour autant mon regard de son visage. Il est grand, aussi grand qu'Éric mais moins épais, sa carrure est musclée, sportive et ses yeux noirs sont deux visions des ténèbres terriblement tentantes. Son regard se baisse sur mon corps caché par les vêtements informes. Je fixe son visage, sa mâchoire carrée et cette cicatrice sur sa joue, semblable au « sourire de Glasgow » mais d'un seul côté. Il respire le danger, la noirceur et la mort, sûrement ce qui fait que je n'arrive pas à regarder autre chose.
Chris apparaît entre nous, il lui parle tout bas et l'homme part s'asseoir à une autre table. Les conversations reprennent, comme si c'était habituel, une sorte d'entracte au spectacle qu'est la vie ici. Je fais tout pour ne pas me retourner mais je sens ses yeux sur moi dans mon dos.
— C'est qui ? je demande à Romain.
Il se penche en avant sur la table, pour me répondre doucement comme s'il avait peur qu'on l'écoute.
— Slaine, ce qui veut dire « en bonne santé », ses parents se sont trompés. Mais là, il est en colère.
— Pourquoi ?
— Je sais pas. Je sais juste qu'il faut pas lui parler quand il est comme ça, il est...
— Violent, termine Éric. Très violent, ne t'approche pas de lui c'est mieux.
C'est plus fort que moi, je me retourne pour le regarder. Je ne doute pas de la véracité des propos d'Éric, c'est évident que Slaine est violent, ça se lit sur son visage mais, quelque chose chez lui m'attire et commence à me faire peur.
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